L'Histoire


L'histoire de M.Cazeaux, ancien propriétaire de la demeure (1851)

De Saint Florentin les démocrates envoient deux émissaires à Auxerre pour savoir ce que les dirigeants du chef-lieu pensent et comptent faire. Les deux envoyés sont Cazeaux, ouvrier du port et Gauchard, cabaretier. Ils partent à dix heures du soir. Ils sont de retour à Saint Florentin le lendemain vers midi. Une nouvelle réunion a lieu et la décision est prise: une manifestation marchera sur l'Hôtel de Ville pour y réclamer des armes. Une fois armés les manifestants marcheront sur Auxerre pour l'investir.

Entre quatre et cinq heures du soir la manifestation s'ébranle, tambour en tête, en criant "à bas les blancs, à bas les aristos". Mais les autorités locales, le maire, le commissaire de police, le juge de paix, s'opposent à leur marche. Une brève échauffourée se produit. Le maire fait crever le tambour. Le tambour est le symbole même de l'autorité municipale; celui qui le tient détient le pouvoir. Les insurgés de Saint Florentin ont déployé des trésors d'habileté pour substituer ce tambour. Tous les documents en portent témoignage: l'obtention de la "caisse" dans chaque village insurgé revêt une importance considérable. A l'autorité municipale, les manifestants de Saint Florentin opposent le droit du peuple à recouvrer sa souveraineté: "Gauchard et Brunat prétendent que la Constitution est violée". On a là l'argument et la motivation des insurgés de Saint-Florentin; ils s'opposent au Coup d'Etat au nom de la Constitution, au nom de la légalité; leur motivation est avant tout politique.

Devant la résistance des autorités, les manifestants se retirent. Ils prennent alors la route pour Auxerre avec l'intention de soulever les villages sur leur passage. En chemin ils sont rattrapés par le père de l'un d'eux, Fournier, aubergiste, qui "supplie son fils de revenir à la maison; mais ce dernier lui répondit: si tu continues à me parler ainsi et que tu descendes de voiture, je te f... un coup de fusil dans le ventre". Cette altercation témoigne et de la tension dramatique et de la faiblesse de la résolution des marcheurs. Ceux-ci atteignent cependant Pontigny à une dizaine de kilomètres de Saint Florentin. Là, Gabriel Crochot, socialiste convaincu, lieutenant des pompiers et fils du maire de cette localité leur déconseille d'aller plus avant. Il sait sans doute qu'en ce 5 décembre, tout le département est calme et que les insurgés de Saint Florentin courent à la catastrophe. Ils n'ont d'ailleurs rencontré qu'indifférence dans les villages traversés.

L'énumération qui est faite par le procureur Benoît des participants au mouvement de Saint Florentin est éclairante; parmi eux il y a Langrand et Gauchard, cabaretiers, Cazeaux père, ancien commerçant, Brunat, "chevalier d'industrie" et ancien huissier révoqué, Hunot, meunier et juge suppléant au tribunal de commerce, Vézin fils, ancien président de clubs révolutionnaires, Aureau, ancien meunier.

Il s'agit là, de toute évidence, de la fraction de la petite bourgeoisie gagnée aux idées rouges. La composition sociale du groupe qui s'est mis en marche explique la faible virulence de la manifestation dans les rues de Saint Florentin: ces bourgeois sont trop policés pour prendre la mairie d'assaut. Elle explique aussi le peu d'écho rencontré dans les villages traversés: peut-on suivre ces gens de la ville, ces bourgeois, fussent-ils rouges?

La bande se disperse à Pontigny. La plupart des participants rebroussent chemin sauf onze d'entre eux qui poursuivent jusqu'au village suivant, Montigny... où nous perdons leur trace.

La plupart des protagonistes de ce mouvement de rébellion sont arrêtés quelques jours après. Une douzaine d'entre eux sont condamnés à la transportation en Algérie.

Dernière modification le 24 juillet 2018